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Le Canada à la fine pointe de l'innovation : L'être humain et le microbiome (TRN5-V23)

Description

Cet enregistrement d'événement comprend une présentation, suivie d'une discussion, de Carolina Tropini, Ph. D., boursière de l'Institut canadien de recherches avancées, au sujet de ses recherches sur le microbiote, la santé intestinale et la médecine de précision.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 00:57:30
Publié : 25 mai 2022
Type : Vidéo

Événement : Le Canada à la fine pointe de l'innovation : L'être humain et le microbiome


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Le Canada à la fine pointe de l'innovation : L'être humain et le microbiome

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Transcription

Transcription : Le Canada à la fine pointe de l'innovation : L'être humain et le microbiome

[Le logo de l'EFPC apparaît à l'écran.]

[Marc Fortin apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Marc Fortin, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada : Bonjour, tout le monde. Bonjour à tous et à toutes. Bienvenue à l'École de la fonction publique du Canada. Je m'appelle Marc Fortin. Je suis le vice-président de la Direction des partenariats de recherche d'un organisme appelé CRSNG, soit le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Notre organisme accorde chaque année un financement d'environ 1,1 milliard de dollars pour la recherche scientifique dans les universités et les collèges du pays. Nous finançons 11 000 des meilleurs chercheurs du Canada et 30 000 étudiants par an, et ce sont ces personnes qui sont les inventeurs et les innovateurs de demain. Je serai donc aujourd'hui le modérateur de l'événement et je tiens à vous remercier de vous joindre à nous aujourd'hui pour cet événement. Avant d'aller plus loin, j'aimerais souligner que je me joins à vous aujourd'hui depuis la ville d'Ottawa, située sur le territoire traditionnel du peuple Anishinaabe, que nous voulons reconnaître leur intendance des terres et que nous espérons nous inspirer de leurs connaissances d'un océan à l'autre.

L'événement d'aujourd'hui représente le quatrième volet de la série Le Canada à la fine pointe de l'innovation de l'École de la fonction publique du Canada, qui est organisée en partenariat avec le CIFAR, soit l'Institut canadien de recherches avancées. L'objectif de cette série est de présenter aux fonctionnaires des experts scientifiques de renom qui concentrent leurs recherches sur des questions clés auxquelles nous, le Canada, et plus généralement le monde entier, sommes confrontés et continueront d'être confrontés dans les années à venir. Aujourd'hui, c'est très fascinant, c'est un événement réellement passionnant portant sur le thème du microbiome humain. En fait, le microbiome décrit l'écosystème de bactéries, de champignons et de virus qui vivent en nous. Chacun d'entre nous a un microbiome différent, le microbiote de chacun d'entre nous est totalement unique. Le microbiome est déterminé par notre génétique et notre environnement, et il constitue un facteur important de notre santé.

[Dre Carolina Tropini apparaît dans une autre fenêtre.]

Celle qui se joint à nous aujourd'hui est la Dre Carolina Tropini, boursière du CIFAR et professeure adjointe à l'École de génie biomédical, de microbiologie et d'immunologie de l'Université de la Colombie-Britannique. Carolina, je vous souhaite très chaleureusement la bienvenue, merci beaucoup de vous joindre à nous.

Merci beaucoup d'avoir pris le temps, vous êtes une personne très occupée et nous sommes reconnaissants du temps que vous passerez avec nous aujourd'hui. Je peux témoigner du fait que vous êtes une personne occupée, car pendant la plus grande partie de ma carrière, avant d'intégrer la fonction publique, j'étais moi-même chercheur à McGill, ce qui me permet encore de lire certaines publications scientifiques. Chers collègues, les publications de Carolina sont tout simplement prodigieuses, non seulement sur le plan de la quantité, mais aussi de la qualité des travaux qu'elle accomplit et des personnes avec lesquelles elle collabore. Elle travaille avec les meilleurs spécialistes du monde en matière de microbiome. Nous avons donc beaucoup de chance de vous recevoir aujourd'hui et nous vous remercions vraiment d'avoir pris le temps.

Carolina et son équipe utilisent une combinaison de techniques expérimentales et informatiques de pointe pour étudier la façon dont les milieux physiques ont une incidence sur le microbiome. Carolina, j'ai hâte d'entendre votre présentation sur les humains et le microbiome, mais avant de vous céder la parole, je veux seulement mentionner quelques points d'ordre administratif. Nous souhaitons bien sûr que vous ayez la meilleure expérience possible, alors nous vous recommandons de déconnecter votre appareil d'un réseau privé virtuel, de vous connecter au moyen d'un appareil personnel si possible et de cliquer de nouveau sur le lien du webinaire qui vous a été envoyé par courriel si vous rencontrez des problèmes techniques.

Pendant environ vingt minutes, Carolina nous présentera son exposé, puis nous aurons une causerie et une période de questions avec le public, où chacun d'entre vous sera invité à poser des questions. Vous pouvez envoyer vos questions tout au long de l'événement dans l'interface vidéo de Collaborate. Il suffit de cliquer sur le bouton « lever la main » dans le coin supérieur droit de votre écran et de saisir votre question. Nous surveillerons la boîte de réception tout au long de l'événement. Une interprétation simultanée est offerte pour les participants qui se joignent à nous par le webinaire. Vous pouvez choisir la langue officielle de votre choix sur la plateforme vidéo. Sans plus tarder, Carolina, la parole est à vous, j'ai hâte d'entendre votre présentation. Carolina.

Carolina Tropini, Université de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup, Marc, merci pour cette agréable introduction. Merci à tous d'assister à cette présentation, c'est vraiment un plaisir d'être ici. Je vis, je travaille, j'apprends et j'effectue des recherches à l'Université de la Colombie-Britannique, qui est située sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé du peuple Musqueam, et mon laboratoire étudie l'incidence du microbiote intestinal sur la santé humaine. Vous vous interrogez peut-être sur le titre de ma présentation, qui concerne l'industrialisation et la métamorphose. La raison pour laquelle je vais devoir vous parler d'industrialisation est que nous ne pouvons pas comprendre le microbiote sans le placer dans le contexte de l'ensemble de notre écosystème humain. Cela s'explique en partie par le fait qu'en laboratoire, nous étudions un certain nombre de maladies chroniques qui sont réellement liées au microbiote. Au fil des ans, nous avons appris que la cause profonde d'un grand nombre de ces maladies dites modernes, notamment les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, le diabète, les allergies ou l'obésité est vraiment enracinée dans notre mode de vie modifié par l'industrialisation.

Je vais commencer par vous parler de l'importance de nos microbes pour notre santé, mais je vais présenter cela dans l'optique de l'industrialisation. L'industrialisation a réellement défini la croissance des communautés humaines telles que nous les connaissons aujourd'hui et, surtout, elle a eu une incidence sur les systèmes vivants, de l'échelle du micromètre à l'échelle mondiale.

[Carolina partage son écran. Un diaporama présente des images illustratives pendant qu'elle parle.]

Au fil des ans, j'ai découvert que les parallèles entre le monde à l'échelle microscopique et nos échelles mondiales sont vraiment importants, et que les disparités sont vraiment stupéfiantes. Cela a beaucoup changé ma façon de voir la santé humaine. Cas et pomit ici, je montre deux images. L'une d'entre elles, celle de droite, est une coupe histologique d'un intestin et l'autre est une image satellite du Nunavut. Ces images couvrent plus de douze ordres de grandeur spatiale.

[Elles présentent toutes les deux des volutes tournoyantes similaires.]

Ce dont je vais vous parler aujourd'hui, c'est que tout ce qui se passe dans notre environnement présente un parallèle à l'intérieur de nous et, en général, que les mêmes forces qui nous influencent en tant qu'humains influent également sur les écosystèmes qui sont en nous. À l'échelle macroscopique, il est évident que le coût de l'industrialisation a été énorme, de la destruction des forêts à l'augmentation de la pollution. Nous estimons aujourd'hui qu'environ un million des huit millions d'espèces animales présentes sur Terre risquent de disparaître. Il importe de noter que les autres qui ne risquent pas de disparaître ont vraiment dû s'adapter. L'industrialisation a également eu un coût environnemental en nous. Comme Marc l'a mentionné, des dizaines de milliers de milliards d'organismes vivent à l'intérieur de nous. Pour donner une idée de ce que cela représente, c'est environ cent fois le nombre d'étoiles dans la Voie lactée. C'est un nombre vraiment incroyable d'entités qui vivent à l'intérieur de nous et nous aident tout au long de notre vie.

La raison pour laquelle le microbiote est important pour nous et pour notre santé est qu'il est un peu comme une pharmacie personnalisée dans notre intestin. Tout ce qu'il produit et qui se rend dans nos intestins passera par notre système sanguin, de la même manière que la prise d'un comprimé par voie orale peut faire sentir ses effets sur nos maux de tête ou encore nos allergies. Nous changeons considérablement l'habitat dans notre intestin en raison de l'industrialisation, car nous avons changé notre façon de manger, de lutter contre les maladies et d'interagir avec notre propre environnement et nos communautés humaines. Tous ces facteurs modifient l'habitat dans l'intestin et nous constatons qu'ils entraînent des changements à long terme non seulement dans la composition du microbiote, mais aussi dans ce que ces microbes sont capables de produire, ce qui modifie à son tour la pharmacie dans notre intestin et peut influer sur notre santé, d'autant plus que ces changements surviennent tôt dans le développement.

Qui plus est, l'industrialisation a exercé une pression énorme sur ces organismes et a entraîné la disparition d'un nombre incroyable d'espèces bactériennes. Tout au long de l'exposé, vous verrez pourquoi c'est important. Une autre situation s'est présentée : ces maladies modernes dont j'ai parlé modifient de façon considérable l'environnement et nuisent également au microbiote, ce qui crée un cycle. Nous prenons également beaucoup de médicaments en vente libre, qui ont une incidence sur l'environnement intestinal. Pour vous donner quelques exemples, si vous faites de la fièvre, votre température corporelle changera sur le plan systémique, ce qui influe fortement sur la façon dont les bactéries peuvent se développer dans l'intestin et se reproduire. D'un autre côté, lorsque nous prenons des anti-inflammatoires, cela peut modifier la température corporelle d'une manière moins physiologique que ce à quoi le corps veut réagir.

En ce qui concerne les antiacides, on change l'acidité. Enfin, une autre mesure à laquelle j'imagine que l'on pourrait penser à l'échelle macroscopique est la salinité, qui est la mesure de l'osmolalité, ou la concentration de molécules présentes dans un environnement. Elle influe aussi très fortement sur l'environnement intestinal et celui-ci peut être modifié en raison de la malabsorption. L'intolérance au lactose ou l'utilisation de laxatifs destinés, par exemple, à se préparer à une coloscopie modifieront très fortement ce type d'environnement dans l'intestin. Nous croyions que tous ces effets étaient très aigus, alors comment se fait-il qu'ils modifient si fortement l'environnement? Ici, je vais faire un zoom arrière à l'échelle macroscopique.

[Une diapositive montre la Terre et la silhouette d'un ours. On peut lire : « Les perturbations environnementales touchent les organismes à toutes les échelles. Réchauffement planétaire : écart entre 1,5 et 2 °C. 106 espèces menacées d'extinction. »]

Le réchauffement climatique, alors que nous parlons d'une variation de température de quelques degrés seulement, entraîne l'extinction de plus d'un million d'espèces, car les températures plus élevées perturbent l'équilibre naturel.
Maintenant, revenons à l'intestin. Le réchauffement climatique ressemble beaucoup à ce qui se passe dans notre corps lorsque nous faisons de la fièvre. Bien sûr, une fièvre peut ne durer que quelques jours, mais ce qui compte, c'est l'échelle de temps relative de la croissance de ces organismes. Ainsi, les bactéries ont un cycle de vie de quelques dizaines de minutes et, pour elles, une journée peut représenter des dizaines de générations, ce qui est très semblable à ce que vivent les ours polaires avec le réchauffement climatique. Ainsi, le fait que nous modifions l'environnement physique sur des échelles de temps de quelques semaines avec des médicaments en vente libre ou avec ce type de maladies chroniques signifie réellement que nous modifions notre microbiote intestinal d'une manière qui peut être permanente. Ce que nous voulons vraiment comprendre, c'est : quelle incidence cela aura-t-il sur notre santé?

[Une nouvelle diapositive est intitulée « À part la COVID-19... l'industrialisation a contribué à éradiquer les maladies infectieuses ». Un graphique montre une immense diminution de l'incidence de la fièvre rhumatismale, de l'hépatite A, de la tuberculose, des oreillons et de la rougeole entre 1950 et 2000.]

Ainsi, notre mode de vie modifié par l'industrialisation a eu une incidence sur nos microbes et cela a d'abord conduit à des améliorations très importantes concernant la santé humaine. Je pense ici à la mise au point de vaccins, d'antibiotiques et de nouveaux médicaments, ainsi qu'à l'amélioration de l'hygiène, qui ont vraiment permis cette réduction sans précédent des maladies infectieuses. Cela est réellement en corrélation avec l'incroyable croissance des populations humaines. Il y a cependant eu un coût à cela, car si l'incidence des maladies infectieuses a nettement diminué, on a également constaté une intensification inquiétante des maladies auto-immunes et des affections allergiques.

[Un deuxième graphique, sur la même échelle de temps, montre une augmentation vertigineuse de la maladie de Crohn, de la sclérose en plaques, du diabète de type 1 et de l'asthme.]

C'est dans les années 1990 que les scientifiques ont commencé à se demander si ces deux tendances étaient liées à la possibilité que la réduction des infections influait effectivement sur le système immunitaire humain d'une manière qui créait un dysfonctionnement. Nous découvrons que c'est bel et bien le cas.

La raison en est que les traitements antimicrobiens n'ont pas seulement une incidence sur les agents infectieux, mais aussi sur le type de bactéries commensales avec lesquelles, comme nous allons le voir, nous avons évolué et qui sont importantes pour notre santé.

La question est maintenant : pourquoi la modification de ce microbiote nuirait-elle réellement à notre état général de santé? La sagesse que nous avons à ce sujet provient d'il y a très longtemps. C'est même Hippocrate qui, en 300 avant Jésus-Christ, disait que toutes les maladies commencent dans l'intestin. Nous sommes très liés à notre intestin, car c'est là que nous sommes exposés à un grand nombre de composés provenant de l'extérieur, qu'ils soient issus de l'alimentation elle-même, de l'exposition à des agents pathogènes ou de la production de molécules par notre microbiote. Un autre exemple en philosophie est celui de Feuerbach, qui a dit que « nous sommes ce que nous mangeons ». Pour comprendre notre santé, nous sommes très liés à notre alimentation et à la façon dont notre intestin fonctionne.

Ce que nous apprenons à l'heure actuelle, c'est que le principal lien entre les nombreuses façons dont, par exemple, différents médicaments peuvent fonctionner chez différentes personnes est réellement déterminé par la façon dont le microbiote est capable de les métaboliser, de même que par tous les autres facteurs que je vous ai présentés jusqu'à présent. Nous devons commencer à penser que notre microbiote a une incidence au-delà de l'intestin, qu'il n'y est pas limité et qu'il touche tout ce que notre système sanguin peut atteindre.

Jusqu'à présent, je vous ai expliqué que l'industrialisation a changé notre mode de vie. Les deux prochains éléments dont je vais vous parler un peu, en deux volets, concernent tout d'abord l'incidence des médicaments en vente libre sur notre microbiote. Je vous parlerai ensuite un peu de ce à quoi notre laboratoire a pensé pour essayer de restaurer ces écosystèmes. Je vous ai donné un aperçu de la façon dont nous voyons le microbiote et dont l'environnement peut être modifié. Je vous ai expliqué que l'une des façons de modifier l'environnement était la mesure de l'osmolalité, à savoir le nombre de molécules présentes dans l'intestin... C'est en fait l'un des modes de fonctionnement des laxatifs. Les laxatifs sont des composés non absorbables, notamment les laxatifs osmotiques comme MiraLAX, RestoraLAX ou le sulfate de magnésium. Il s'agit de composés que notre corps ne peut pas absorber et, afin d'équilibrer le potentiel osmotique, cela provoque l'extraction de l'eau de l'épithélium et augmente la motilité.

Je m'excuse parce que je réalise que l'heure du dîner approche pour ceux d'entre vous qui se trouvent sur la côte Est et que nous allons parler de laxatifs dans les prochaines diapositives. Je tenais à ce que vous le sachiez. Les laxatifs ne sont pas seulement utilisés pour se préparer aux coloscopies; ils sont aussi très utilisés dans la communauté en général. Ainsi, aux États-Unis, ce sont les deux premiers remèdes digestifs et c'est également le cas au Canada, où ils sont très utilisés.

L'une des choses qui nous préoccupent est qu'ils sont également très utilisés dans la population pédiatrique. Nous voulions comprendre l'incidence des laxatifs sur le microbiote intestinal et l'une des mesures qui nous semblent vraiment importantes pour étudier cet écosystème dans son ensemble est l'observation in situ, soit l'observation de ce qui se passe au niveau de la paroi intestinale et de l'interface entre l'intestin et le microbiote.

[On peut lire sur une diapositive : « Malabsorption et laxatifs modifient l'environnement intestinal. » Cette diapositive montre une image obtenue par balayage d'un intestin non soigné en trois couleurs : le rouge représente les bactéries, le vert représente le mucus et le bleu représente les cellules intestinales.]

Je vous montre ici une micrographie, très semblable à ce que vous verriez en prélevant une biopsie. Il s'agit d'une expérience réalisée sur un modèle animal et vous voyez qu'ici, à droite, se trouvent les cellules intestinales que nous appelons les cellules entières. Les humains sont l'hôte de ce microbiote. Ces cellules intestinales sont très liées aux bactéries, soit au microbiote qui est ici, présenté en rouge. Ces bactéries produisent des composés appelés acides gras à chaîne courte qui sont absorbés et qui constituent la principale source de nourriture des cellules intestinales. Comme vous pouvez néanmoins le voir, les cellules intestinales produisent également cette substance présentée en vert, ce mucus, qui constitue une barrière contre le microbiote, car nous ne voulons pas qu'il pénètre, nous voulons qu'il demeure à distance. En même temps, nous sommes si étroitement liés à nos bactéries que nous les nourrissons à travers notre mucus. Nous avons donc évolué pour avoir un mucus qui contient des composés que les bactéries peuvent décomposer et vous les voyez ici en train de les ronger. Cette interaction présente donc un bel équilibre : les bactéries nous apportent quelque chose et nous les gardons également en sécurité dans notre environnement intestinal.

[Une deuxième image, portant la mention « traitement au laxatif », montre une image obtenue par balayage d'un intestin. Elle présente une fine ligne de mucus en vert pâle et du mucus qui se mélange aux cellules intestinales.]

Ce qui se passe pendant un traitement au laxatif est un peu comme ce qui se produit, j'imagine, lors d'une tornade ou d'un tsunami. Le traitement au laxatif entraîne un changement si important dans l'écosystème qu'il provoque l'altération de l'épaisseur de cette couche de mucus, de sorte que toutes ces bactéries qui étaient auparavant séparées de nous entrent en contact avec les cellules. Cela entraîne une réponse immunitaire très forte, même contre les bactéries commensales que nous aimons normalement garder tout près. Cela modifie aussi considérablement la façon dont les bactéries peuvent interagir avec notre mucus. Comme nous le savons, une durée est liée à ces conditions.

[Une troisième image obtenue par balayage, portant la mention « après un rétablissement », montre un intestin. La barrière muqueuse est plus large, mais elle n'est pas aussi présente dans les bactéries.]

Lorsque la prise de laxatifs cesse, le système se reconstitue, mais nous verrons surtout la façon dont le microbiote change. Le séquençage nous permet d'analyser la façon dont le microbiote est modifié. Ce que nous faisons, c'est d'inoculer le microbiote d'un patient humain dans des modèles murins. Ces souris n'ont au départ aucun microbe. Nous ajoutons un microbiote humain pour pouvoir examiner les microbiotes de patients donnés, ainsi que le microbiote des souris, en vue d'étudier un vaste éventail d'espèces bactériennes.

[Une nouvelle diapositive montre deux graphiques qui suivent les bacteroidaceae et les muribaculaceae au fil des jours.]

Ici, je vous montre un graphique de l'évolution de l'abondance de ces différentes micrographies. Les noms ne sont pas vraiment importants, mais je voulais m'assurer de les mettre en évidence. Ainsi, les muribaculaceae et les bacteroidaceae sont deux familles de bactéries qui, comme vous pouvez le constater, constituent une fraction assez importante du microbiote. En fait, les muribaculaceae représentent au départ près de 50 % de l'abondance, de sorte que toutes les autres bactéries appartiennent à cette famille.

Ce que nous avons découvert, c'est que pendant un traitement au laxatif, ces bactéries sont complètement épuisées; nous ne pouvons effectivement pas les trouver dans notre système. Comme il y a beaucoup de concurrence dans cet environnement, l'habitat qui a été perdu par les muribaculaceae est occupé par les bacteroidaceae. La constatation qui nous a encore plus surpris, c'est que même lorsque le traitement au laxatif cesse, les bactéries muribaculaceae sont tout simplement perdues et nous ne pouvons plus les récupérer. Je vais donc m'arrêter ici, car que vous vous intéressiez ou non aux muribaculaceae en particulier, il s'agit d'un changement énorme dans notre microbiote. Si je devais vous parler d'un événement similaire qui s'était produit dans un écosystème à l'échelle macroscopique, cela reviendrait à dire que tous les primates ou tous les félins quittaient leur habitat.

Ce que nous savons des muribaculaceae, c'est qu'elles disparaissent des communautés humaines industrialisées. Par exemple, les muribaculaceae ont une prévalence très élevée chez les humains des communautés traditionnelles qui se trouvent dans le monde entier, de la Tanzanie à l'Amazonie. Entre 65 et 90 % de ces humains ont cette famille de bactéries, tandis que la prévalence est très faible dans les communautés industrialisées. Bien sûr, la question devient : pourquoi la perte des muribaculaceae est-elle un problème? Pourquoi devrions-nous nous soucier d'avoir diverses communautés de bactéries à l'intérieur de nous? Cela nous ramène aux différentes échelles du problème. Au début de l'exposé, nous avons parlé des similitudes entre les différentes échelles de mise au point, soit l'échelle mondiale et l'échelle microscopique. Nous allons maintenant parler des différentes échelles de temps. Une génération dure environ vingt à trente ans chez les humains, mais une génération chez les microbes est de l'ordre de quelques dizaines de minutes. Cela signifie que lorsque nous modifions notre régime alimentaire, lorsque nous prenons un laxatif, lorsque nous changeons quelque chose dans notre mode de vie, les bactéries vont s'adapter très rapidement, mais pas nous.

Notre mode de vie a beaucoup changé au cours des 150 dernières années en raison de l'industrialisation et nos bactéries se sont adaptées. Elles produisent des composés différents parce qu'elles sont capables de se développer grâce à des types d'aliments différents, c'est-à-dire plus autant grâce aux fibres que grâce aux aliments transformés. Le problème qui est apparu est le fait que notre propre biologie est désormais inadaptée à notre mode de vie industrialisé. L'essentiel ici est qu'il n'y a rien de fondamentalement mauvais ou bon dans le mode de vie industrialisé, mais que nous n'avons tout simplement pas évolué avec lui. Nous pensons qu'en raison de l'incompatibilité de celui-ci avec notre biologie, les microbes qui ont été sélectionnés par l'industrialisation produisent des composés qui peuvent entraîner une inflammation. Une partie du problème est donc que nous sélectionnions ceux qui étaient avantageux pour notre bien-être au cours de l'évolution, parce qu'ils nous aidaient par exemple à décomposer certaines des racines que nous mangions lorsque nous étions des chasseurs-cueilleurs.

L'essentiel ici est que les bactéries ont changé en réaction à notre changement de mode de vie, mais que nous, en tant qu'humains, ne suivons pas. Nous pensons que c'est la raison pour laquelle nous assistons à cette incroyable augmentation des maladies inflammatoires et des maladies du système immunitaire. La question que nous posons alors est la suivante : les muribaculaceae jouent-elles réellement un rôle dans ces maladies des pays industrialisés? Ces travaux ont été menés principalement par le Dr Marty Blaser, de l'Université Rutgers, qui travaille sur un modèle de diabète de type 1. Il a notamment découvert que lorsque des souris prédisposées au diabète de type 1 sont exposées à des antibiotiques, la survenue de la maladie est beaucoup plus grave.

[Un autre graphique montre la probabilité qu'elles soient exemptes de diabète sur trente semaines. La ligne bleue qui représente les souris ayant reçu des antibiotiques et la ligne jaune de référence commencent toutes les deux à 100 %. La ligne bleue descend beaucoup plus que la ligne de référence jaune.]

Ainsi, il montre au moyen de ce graphique que la probabilité que les souris soient exemptes de diabète diminue quand elles sont exposées à ces antibiotiques. Vous pouvez voir ici que davantage de souris sont exposées ou montrent une évolution de la maladie lorsqu'on leur administre des antibiotiques. C'est ce que montre la ligne bleue en tirets par rapport à la ligne de référence. Ainsi, à la fin de l'expérience, il n'y avait environ que 10 % des souris qui étaient exemptes de diabète après avoir été exposées aux antibiotiques.

L'un des éléments qui nous ont semblé vraiment intéressants, c'est que la présence de muribaculaceae est liée à l'absence de développement du diabète. Les souris qui avaient des muribaculaceae étaient donc beaucoup moins susceptibles de contracter cette maladie. Cela nous ramène un peu à l'un des thèmes généraux du domaine, c'est-à-dire que nous pensons que l'une des raisons pour lesquelles nous voyons tant de maladies modernes est liée à la perte de certains de ces microbes. Ainsi, dans le cas des populations traditionnelles, le microbiote est complexe et diversifié par rapport à la perte de microbes qui est constatée dans les maladies des pays industrialisés. Cela crée une situation à double tranchant. D'un côté, nous n'avons pas de maladies infectieuses dans le monde industrialisé. De l'autre côté, nous devons lutter contre les maladies inflammatoires. En fait, notre objectif ici est d'essayer de trouver un moyen d'éliminer à la fois les maladies infectieuses et les maladies inflammatoires.

Cela nous amène au troisième volet, qui consiste à réfléchir à la restauration de l'écosystème. Il s'agit d'un problème très difficile non seulement à l'échelle mondiale, mais aussi à l'échelle de notre propre intestin. Pensons aux probiotiques qui sont vendus en permanence dans les supermarchés. Il a été démontré qu'ils n'ont qu'une efficacité limitée et, en un sens, c'est tout à fait logique. Si vous deviez penser à une tornade ou à des feux de forêt qui auraient balayé Yellowstone, vous ne pourriez pas ajouter une espèce aléatoire de lapin et espérer qu'elle restaure l'écosystème. C'est un peu ce que nous faisons avec les probiotiques : nous essayons d'insérer une seule espèce et il se peut qu'elle ne colonise pas. En fait, bien souvent, elle n'est tout simplement pas capable de coloniser. Comme vous pouvez le voir ici, son incapacité à coloniser est en partie liée au fait que ces communautés sont incroyablement denses et compétitives. Il s'agit donc d'une tâche très difficile et l'une des questions que nous posons dans le cadre de nos recherches est la suivante : lorsque nous perdons des muribaculaceae, pouvons-nous réellement les récupérer?

Dans notre modèle murin, il est très facile de procéder à ce type de greffe du microbiome fécal, car il s'avère que les souris sont coprophages, c'est-à-dire qu'elles mangent leurs propres selles. Encore une fois, ce n'est pas le meilleur sujet avant le dîner, mais j'espère que vous me suivrez dans ces expériences et ces découvertes. Dans ces expériences, en introduisant plus de muribaculaceae, nous ne savions vraiment pas à quoi nous attendre puisque, comme je l'ai dit, cette communauté était très dense. Toutefois, ce qui nous a vraiment enthousiasmés, c'est que la muribaculaceae était réellement capable de recoloniser de manière stable. En fait, ce qui est encore plus excitant dans ce modèle murin sur le diabète de type 1 est que la réintroduction de la muribaculaceae a récupéré le phénotype du diabète. En réalité, les souris qui ont reçu les antibiotiques et qui ont reçu des muribaculaceae quelques jours après n'ont pas développé le diabète de type 1; elles ont donc retrouvé un taux normal, comme si elles n'avaient pas reçu les antibiotiques.

[Deux graphiques montrent l'abondance des muribaculaceae après les antibiotiques. Ils montrent tous les deux une baisse dans la phase du début qui est présentée en jaune. La courbe du graphique de gauche plonge à zéro et ne remonte pas. Celle du graphique de droite remonte jusqu'à 0,3. Une étiquette indique « laxatifs traitement ».]

Une leçon importante que nous avons retenue est le fait que la réintroduction doit se faire dans un environnement non déséquilibré pour réellement être viable. Ainsi, dans ces deux expériences, nous avons réintroduit la muribaculaceae de façon continue sur une période de plusieurs jours. Toutefois, nous ne l'avons réintroduite que pendant la période d'exposition au traitement au laxatif dans l'expérience présentée à gauche tandis que dans la deuxième expérience présentée à droite, nous avons laissé cette exposition se produire pendant seulement quelques jours supplémentaires et la muribaculaceae a pu revenir. Ce que cela nous apprend vraiment, l'orientation que cela nous donne quant à ce qui pourrait être important pour les traitements du microbiote, c'est que nous devons agir à des moments où l'environnement est normalisé. Maintenant, si l'on fait un zoom arrière pour penser à la restauration des écosystèmes, cela est très logique. Si vous vouliez replanter une forêt tropicale dans un désert, il vaudrait mieux que le désert contienne de l'eau pour favoriser cette croissance. Nous pensons au microbiote de la même manière, en nous concentrant vraiment sur cette perspective écosystémique.

Ce dont je vous ai parlé aujourd'hui, c'est que l'industrialisation a modifié notre mode de vie et a eu une incidence sur notre microbiote. Je vous ai également dit que les médicaments en vente libre peuvent entraîner la disparition de membres clés du microbiote comme les muribaculaceae et, surtout, que la restauration des écosystèmes nécessite vraiment cet environnement physique équilibré. J'aime penser à cela sous l'angle de ce que nous faisons à l'échelle macroscopique, qui à mon avis est vraiment utile. Je crois vraiment que la solution à la destruction de ces écosystèmes causée par l'industrialisation doit passer par un respect et une meilleure compréhension de la nature, combinés à des technologies améliorées permettant aux humains et aux espèces sauvages de coexister. Je pense que ce parallèle important doit également s'appliquer à la médecine et au microbiote.

En médecine, nous assistons à un grand virage vers la médecine personnalisée, mais tant que notre corps n'évoluera pas pour avoir besoin de stimuli différents, nous devrons améliorer notre régime alimentaire et revenir à la nature, parallèlement aux améliorations apportées à nos technologies et à notre capacité à rétablir notre diversité microbienne. Donc, je pense que pour le meilleur et pour le pire, pour un moment encore, nous devrons manger nos brocolis.

L'une des choses que je voudrais également souligner ici est le fait que nous avons besoin d'équipes diversifiées pour résoudre ces problèmes. Ce que disent les microbiologistes, les ingénieurs biomédicaux et les médecins à eux seuls ne suffit pas. Je pense que nous avons vraiment besoin de comprendre la psychologie et les répercussions anthropologiques afin de mener à ces changements à l'échelle du système et d'améliorer notre mode de vie. L'une des choses qui me semblent très importantes est que nous connaissons beaucoup de ces leçons depuis longtemps, et je ne vous dis rien de nouveau en vous disant que nous devons manger sainement. Cependant, nous savons tous ce qui arrive aux résolutions du Nouvel An lorsqu'elles concernent des changements de régime : elles ne durent pas très longtemps. Je pense donc que nous avons besoin de lois pour mettre en œuvre ces changements et veiller à ce qu'ils soient appliqués à grande échelle.

Pour terminer, je voudrais remercier mon équipe et les personnes qui ont rendu possible l'événement d'aujourd'hui. C'était une très belle expérience. J'ai suivi une formation aux États-Unis et j'ai pu revenir au Canada. C'est très excitant de démarrer un laboratoire à l'Université de la Colombie-Britannique et je suis vraiment reconnaissante de l'occasion qui m'est donnée de parler avec tout le monde. J'ai hâte d'entendre vos questions. Merci beaucoup pour votre attention.

[Le partage d'écran de Carolina se termine pour retourner aux fenêtres de clavardage vidéo.]

Marc Fortin : Eh bien, merci beaucoup, Carolina. Il s'agit d'un sujet fascinant et vous avez soulevé tellement de questions. Maintenant, en parlant de questions, on me dit que nous avons un léger problème technique, car la fonction « lever la main » que j'ai mentionnée plus tôt semble ne pas fonctionner pour le moment. Il y a donc un autre moyen pour vous, cher public, de nous envoyer des questions et c'est par courriel. Nous allons revenir à un bon vieux courriel et l'adresse de courriel...

Carolina Tropini : Le pigeon voyageur fonctionne aussi, non?

Marc Fortin : Oui, mais nous n'avons que trente minutes. Nous allons donc travailler avec le courrier électronique et l'adresse de courriel devrait apparaître à l'écran. Si ce n'est pas le cas, l'adresse de courriel est C-S-P-A@C-D-N-H-O-S-T.ca, donc cspa@cdnhost.ca. Alors, veuillez nous envoyer vos questions par courriel et nous ferons tout en notre pouvoir pour répondre au plus grand nombre de questions possible. Je dis nous, mais c'est Carolina qui répondra à vos questions, pas vraiment nous. Permettez-moi de commencer moi-même par quelques questions, des questions qui me sont venues à l'esprit en écoutant votre présentation et en réfléchissant au sujet. Vous avez parlé de la façon dont les changements environnementaux ont une incidence sur notre microbiome, mais pourrions-nous en arriver à modifier délibérément notre microbiome par des interventions précises visant à atteindre un objectif de santé? Pouvons-nous ou devrions-nous jouer, façon de parler, avec notre microbiome ou le modifier délibérément avec des médicaments, des produits chimiques ou des composés? Qu'en pensez-vous?

Carolina Tropini : C'est une excellente question. J'aime vraiment réfléchir à ce type de question en me basant, encore une fois, sur notre compréhension des écosystèmes naturels à grande échelle. Il est beaucoup plus facile de savoir quand un écosystème est vraiment instable que quand il est sain. Ainsi, si vous deviez comparer deux parcs nationaux et si vous demandiez lequel est le plus sain, ce serait une question très difficile, mais on sait quand un écosystème n'est pas sain. C'est la même chose dans notre microbiote. Nous savons que certaines caractéristiques dans sa composition auront un effet négatif sur la santé humaine.

Je pense que le traitement du microbiote peut notamment agir en ce qui concerne les nouveau-nés. Par exemple, les bébés nés par césarienne ont une diversité de microbes beaucoup plus faible au départ, ce qui a des effets sur les allergies et l'asthme plus tard. Ainsi, à ce stade où le microbiote est vraiment sur le point de se former, je pense que le traitement du microbiote peut vraiment aider à rétablir cette diversité dont nous avons besoin pour une santé à long terme. Cependant, l'un des défis à relever est que notre microbiote est très dynamique et très personnel, de sorte que notre passé influe beaucoup sur ce qui est « bon » ou mauvais. Il devient donc très important de comprendre le contexte et la personnalité de notre microbiote.

Marc Fortin : Mm-hmm. Dans l'exemple de la césarienne que vous venez de mentionner, il serait possible d'introduire de la diversité dans le microbiome afin d'éviter certains problèmes comme l'asthme et les troubles immunologiques. Pensez-vous que nous pourrions en arriver là?

Carolina Tropini : Oui. Tout à fait. Certains des changements que nous pouvons faire modifient et organisent, d'une certaine façon, notre microbiote tous les jours. Chaque fois que nous changeons notre régime alimentaire de manière importante, cela modifie les microbes qui y sont présents. Dans le cas des enfants prématurés qui n'ont peut-être pas été exposés au microbiote normal lié au passage dans la filière pelvigénitale, l'un des objectifs est de s'assurer qu'ils ont ces microbes pour se protéger des envahisseurs. Par exemple, l'entérocolite nécrosante néonatale, qui est une maladie qui touche beaucoup d'enfants prématurés, provient de l'absence d'un microbiote protecteur.

Marc Fortin : Cela est vraiment lié à une question posée par des amis qui ont un enfant d'un an. Ce dernier est essentiellement né dans le contexte de la pandémie et a eu des contacts limités avec d'autres enfants, d'autres personnes. Quand on repense aux garderies, celles-ci constituaient un environnement microbiologique très diversifié, très riche. Or, les nouveau-nés ont été vraisemblablement moins exposés à la diversité au cours de la dernière année. Que peuvent faire ces parents pour apporter cette diversité? Ce n'est pas nécessairement une condition à ce stade, mais ils se soucient d'apporter une diversité microbiologique qui sera utile.

Carolina Tropini : Certaines recherches très intéressantes qui sont publiées montrent que les bébés exposés à un plus grand nombre de microbes sont en meilleure santé plus tard, ce qui s'est avéré positif en ce qui concerne l'asthme et les allergies. L'idée, en partie, est que nous avons évolué dans un environnement très riche en microbes différents et que notre système immunitaire doit apprendre à attaquer et à prévenir les infections grâce aux bons agents. Ainsi, dans le cas des allergies, le problème est que notre système immunitaire n'a pas été exposé aux bons signaux. Il réagit donc de façon excessive lorsqu'il rencontre d'autres polluants ou allergènes, même s'il n'a pas vraiment de raison valable d'essayer de les combattre, pour prévenir... pour assurer notre santé. Je trouve que certaines choses qui nous lient au microbiote sont vraiment fascinantes. Par exemple, les enfants qui ont grandi avec des chiens sont beaucoup moins susceptibles de souffrir d'allergies et d'asthme.

Si un enfant utilise une sucette, il risque moins de développer des allergies, surtout si celle-ci est nettoyée dans la bouche de la mère. Les deuxièmes enfants sont moins susceptibles de souffrir d'allergies. Quel est le point commun dans tout cela? Le point commun est que tous ces facteurs, ces agents qui apportent des microbes dans la maison, contribuent à diminuer la probabilité de développer des allergies. Ce qui est intéressant avec la pandémie, c'est que non seulement nous sommes très éloignés des autres communautés humaines, mais nous utilisons aussi beaucoup plus de composés antimicrobiens. Ceux-ci sont bien sûr essentiels pour empêcher la propagation de la COVID, mais ils empêcheront également la propagation de certains de ces microbes.

Cela aura donc une incidence sociétale. Toutefois, la difficulté est que ce sera un effet chronique, pas un effet aigu. En tant qu'êtres humains, nous sommes très doués pour gérer les effets aigus et nous pouvons le constater avec la COVID, notamment la rapidité avec laquelle les gens se sont rassemblés pour trouver une solution. En ce qui a trait aux maladies chroniques, imaginez que vous deviez agir un jour précis et décider ceci : est-ce que ce bébé va recevoir des antibiotiques? S'il essaie de résoudre un problème qui pourrait être grave maintenant plutôt que d'influer sur la probabilité du bébé de devenir obèse dans vingt ans, le médecin choisira plus probablement de lui donner des antibiotiques maintenant.

Marc Fortin : Mm-hmm. Il y a une question du public à laquelle je peux réellement m'identifier. Si une personne a été piquée par une tique, la prescription est souvent un traitement antibiotique. Maintenant, et cela est lié au problème que vous venez de soulever, il y a une morsure de tique. Il y a une possibilité de maladie de Lyme, alors la personne prend les antibiotiques, mais ceux-ci auront une incidence sur son microbiome. Comment pouvons-nous encore prendre ces antibiotiques? Bien sûr, nous voulons éviter la maladie de Lyme, mais que pouvons-nous faire pour limiter les répercussions des antibiotiques que nous prenons? Pour limiter leurs répercussions sur le microbiome? Y a-t-il une recette, une astuce que nous pouvons utiliser?

Carolina Tropini : Oui. En guise de préambule, je dois dire que je ne suis pas médecin. Je peux vous dire ce que je ferais, ce que ma famille ferait, ainsi que ce que la science nous a permis de constater. Il s'agit donc d'une question très importante et je pense que la médecine doit aller dans cette direction. Nous devrons commencer à conserver des réserves de notre microbiote afin de pouvoir le réimplanter après l'avoir épuisé en raison d'une préparation à la coloscopie ou de la prise de doses d'antibiotiques et de pouvoir conserver nos acquis jusqu'à ce moment-là pour ensuite nous inoculer de nouveau notre propre microbiote.

Marc Fortin : Mm-hmm.

Carolina Tropini : De nombreux travaux menés en Israël, dans les laboratoires Segal et Elinav, ont démontré que les patients qui prenaient des antibiotiques retrouvaient leur état normal beaucoup plus rapidement s'ils étaient exposés à nouveau à leur microbiote normal. En réalité, la prise de produits comme des probiotiques ralentit ce rétablissement ou en modifie le déroulement. Nous n'en sommes pas là pour le moment, car les greffes de microbiote fécal ne sont utilisées que dans des situations d'urgence. Cela ne va pas vous aider en ce moment si vous avez été mordu par une tique et j'en suis désolée, car c'est un incident très effrayant. Ce que vous pouvez faire, c'est de privilégier une alimentation plus variée en fibres pour essayer de garder les microbes que vous avez à l'intérieur de vous, de les garder en vie.

Absorber des microbes en petites doses figure parmi les autres éléments que je trouve très utiles. Par exemple, les aliments fermentés nous exposent aux microbes d'une manière à laquelle notre système immunitaire réagit positivement. De nombreux travaux réalisés à Stanford ont montré que le système immunitaire s'active bel et bien d'une manière favorable à la lutte contre les infections lorsqu'il est exposé à ces microbes commensaux présents dans le yogourt, le kimchi et d'autres aliments prébiotiques. Encore une fois, cet équilibre entre ce que notre système s'attend à voir et cette exposition aux microbes est très important.

Marc Fortin : Carolina, nous avons un public de fonctionnaires et je suis sûr que certains d'entre eux proviennent d'organismes de réglementation ou de ministères responsables de l'élaboration de politiques. Que doivent savoir les organismes de réglementation ou les gouvernements à ce stade? À quoi doivent-ils se préparer? Assez souvent, nous constatons que la science évolue rapidement et que l'ensemble de la structure réglementaire prend parfois un peu plus de temps pour rattraper son retard. Alors, que doivent savoir les organismes de réglementation ou les gouvernements à ce stade ou à quoi doivent-ils se préparer? Devrions-nous envisager de limiter certains composés ou certaines pratiques? Qu'en pensez-vous?

Carolina Tropini : Je pense qu'il faudra des limites concernant les composés. Encore une fois, il s'agit d'intervenir dans le cas de problèmes aigus et de savoir dans quelle mesure nous voulons agir. Je pense que lorsqu'il y a un problème, tant chez les patients que chez la population en général, l'impulsion est d'essayer d'agir et de prendre quelque chose, de prendre un médicament, même si parfois ce problème se résoudra de lui-même. Ainsi, je crois qu'il faudra des règlements pour essayer de garantir que si nous prenons des composés qui pourraient perturber notre microbiote, nous le faisons lorsque nous devons le faire et pas seulement pour essayer de faire quelque chose pour un problème qui pourrait se résorber. Bien sûr, cela ne touche pas uniquement les législateurs, mais aussi les médecins.

Je pense donc que nous devons passer à un cadre réglementaire dans lequel nous comprenons mieux l'interaction entre nos microbes et notre santé, et qu'un grand travail sera fait pour essayer de promouvoir des régimes alimentaires plus sains dans les écoles, dans les cafétérias. Je pense qu'un changement à l'échelle du système est vraiment nécessaire. Je pense que ces personnes verront les effets énormes de la promotion de choses qui sont déjà encouragées, notamment l'allaitement des nouveau-nés, la réduction du nombre de césariennes et tous ces éléments qui nous ramènent à ce avec quoi nous avons évolué.

Marc Fortin : Mm-hmm. D'une certaine manière, comme vous l'avez abordé dans votre réponse il y a une seconde, lorsque nous pensions à la médecine personnalisée, nous étions nombreux à penser, moi y compris, que si nous comprenions notre matériel génétique, si nous comprenions notre ADN, nous serions mieux à même de personnaliser les interventions médicales pour chacun d'entre nous. Ainsi, si nous comprenions notre génétique, nous pourrions recommander de meilleures interventions. Cependant, avons-nous négligé le fait que le microbiome est une composante si importante de notre santé que nous ne devrons plus seulement comprendre notre matériel génétique, mais aussi le matériel génétique microbiologique qui vit en nous?

Carolina Tropini : Oui, Marc, vous avez raison. Je crois bien sûr au microbiome, donc je pense vraiment que ce sera un facteur très important, si ce n'est que parce que ces microbes influeront sur la façon dont les médicaments seront administrés. Certains microbes peuvent modifier... La plupart des médicaments que nous étudions seront modifiés par le microbiome, et même des choses auxquelles nous ne pensons pas vraiment, comme boire des boissons hypocaloriques. Nous pensons que celles-ci n'ont pas d'effet sur nous parce que ce sont des sucres que le corps humain ne peut pas absorber, mais concrètement, les bactéries les décomposent et nous donnent quand même des calories en échange. Nous sommes donc un système intégré, nous ne pouvons pas nous en affranchir et nous devons trouver une façon de travailler avec ces bactéries pour améliorer notre santé.

Marc Fortin : Les systèmes intégrés sont toujours des problèmes complexes.

Carolina Tropini : Oui, tout à fait.

Marc Fortin : Nous avons une question du public. Les médias ont beaucoup parlé de l'influence du microbiome sur la santé mentale. Selon vous, quels sont les mécanismes possibles qui expliquent ces interactions entre les bactéries vivant dans notre intestin et notre santé mentale? Quel est le lien entre les deux?

Carolina Tropini : C'est une excellente question. Nous nous y intéressons profondément. Honnêtement, en arrivant dans le domaine du microbiote, j'étais un peu sceptique quant à ce lien jusqu'à ce qu'il devienne manifeste. Encore une fois, tout ce qui est produit dans l'intestin passe par notre système sanguin et de nombreux composés peuvent traverser la barrière hématoencéphalique et influer sur notre cerveau. Nous le constatons très nettement, notamment dans les modèles pédiatriques de différentes maladies inflammatoires. Si certains changements liés à une inflammation ou à une maladie surviennent au cours du développement et s'ils ont une incidence sur le microbiote et les composés produits, il s'avère qu'une grande partie des bactéries qui produisent des composés anti-inflammatoires sont des bactéries qui ne sont pas très aptes à faire face à ces perturbations attribuables à l'inflammation. Ce sont des bactéries très spécialisées dont la principale fonction dans l'intestin est de produire ces composés anti-inflammatoires qui sont absorbés par les cellules intestinales.

Lorsque ces bactéries sont absentes, ces composés anti-inflammatoires le sont aussi, ce qui aggrave l'inflammation, qui peut également se propager au cerveau. Le lien est donc très complexe. Par exemple, dans le cas de maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson, la présence d'un microbiote peut être problématique et certaines études ont montré que l'utilisation d'antibiotiques peut en réalité être efficace pour réduire les symptômes. Dans d'autres cas, celle-ci peut néanmoins être très préjudiciable.

Grâce à des travaux menés dans mon laboratoire en collaboration avec le laboratoire Ciernia de l'Université de la Colombie-Britannique, nous commençons à montrer qu'une inflammation survenue tôt dans la vie modifie le microbiote et entraîne une déficience de la mémoire chez les animaux étudiés. Nous étudions, entre autres, si l'ajout de certains des composés normalement produits par un microbiote sain peut améliorer certains de ces effets. Comme beaucoup de ces effets attribuables à un microbiote modifié s'accentuent au fil des années, je pense que nous devons vraiment nous y attaquer dès la petite enfance et offrir à nos enfants la diversité dont ils ont besoin pour éviter l'inflammation et les risques accrus de troubles du cerveau.

Marc Fortin : Merci. Je veux revenir à d'autres questions du public. Il y a deux questions qui se rejoignent un peu. Vous avez mentionné que la révolution industrielle a eu une incidence sur nous. C'était d'ailleurs l'une des diapositives de titre. Que peuvent faire ceux d'entre nous qui vivent dans des sociétés industrielles pour empêcher cette érosion ou cette diminution de la diversité des bactéries bénéfiques? Un grand nombre de personnes prennent des laxatifs ou des antiacides. Quels sont nos choix pour essayer de limiter leurs conséquences?

Carolina Tropini : C'est une très bonne question. Je ne pense pas qu'il y ait une réponse générale. Dans le cas d'affections spécifiques, je pense que la prise de différents types de fibres peut aider le microbiote. Cependant, l'une des choses qui me semblent actuellement très importantes dans la science est que nous essayons de préserver la diversité qui provient des populations traditionnelles et de créer des banques contenant les microbes qui disparaissent. Nous conservons ceux-ci, mais le défi est de savoir à quoi ils serviront. Supposons que nous étions capables de ressusciter des mammouths et de les replacer dans un écosystème, qu'est-ce que cela signifierait? Cela améliorerait-il cet écosystème? C'est difficile à déterminer. Je pense donc que nous devons repenser le développement chez les jeunes enfants parce que si nous voulons créer un écosystème diversifié sur des bases entièrement nouvelles, le mettre en valeur et le maintenir aussi diversifié et résilient que possible.

L'un de mes enfants est né par césarienne et, bien sûr, je me suis inquiétée de l'incidence du microbiote pendant l'opération. Je me suis demandé : « Qu'est-ce que j'ai fait? Je sais que ça va poser problème. » En pratique, nous devons nous adapter à notre passé. Nos microbes se sont constitués lors des multiples occasions où nous avons dû prendre des antibiotiques et des moments où nous avons dû prendre différents médicaments qui ont eu des effets sur notre microbiote. Nous ne pouvons tout simplement pas empêcher que cela se produise. Toutefois, ce que nous pouvons faire, ce sont des choix plus sains.

Si l'on met encore les choses en perspective, si des enfants doivent prendre des laxatifs, il faut leur donner plus de légumes même si c'est difficile. Nous pouvons faire de meilleurs choix au quotidien, mais ce ne sont pas les choix les plus faciles, car l'industrialisation a apporté beaucoup de choix faciles. Par exemple, il faut proposer aux parents occupés de meilleures solutions de rechange aux légumes que les laxatifs pour les moments où ils essaient de faire avaler une carotte à leur enfant. Ainsi, cette collaboration entre la mise au point de technologies, la législation et les médecins doit vraiment se faire de manière concertée pour que nous puissions garantir que le choix le plus facile soit aussi le meilleur pour notre santé.

Marc Fortin : C'est une transition absolument parfaite vers une autre question du public. Vous parlez d'approches pluridisciplinaires, ou de divers angles pour s'attaquer ou remédier au problème, mais nous savons que c'est difficile. Autrement dit, les chercheurs sont occupés à faire de la recherche et les omnipraticiens sont occupés à pratiquer la médecine dans leur clinique. Ils ont fort à faire en ce moment avec toutes sortes de défis, d'organismes de réglementation, et ainsi de suite. Y a-t-il une source d'inspiration, quelque chose que vous avez vu dans d'autres régions du monde, qui montre que nous sommes capables de réunir ces différentes disciplines, ces différentes optiques complémentaires qui doivent toutes fonctionner ensemble? Y a-t-il une source d'inspiration, quelque chose que vous avez vu qui pourrait nous inciter à procéder autrement au Canada? À [chevauchement des énoncés des deux locuteurs 00:52:39] rassembler toutes ces personnes? Désolé.

Carolina Tropini : Eh bien, comme je l'ai dit, je ne veux pas me vanter, mais le CIFAR a été extraordinaire à cet égard. L'objectif du CIFAR est bel et bien de rassembler des gens de différentes perspectives pour que certains de ces importants programmes de santé publique soient mis en œuvre. Grâce au CIFAR, nous élaborons entre autres des programmes de formation sur le microbiote à l'intention des nouveaux médecins qui suivent un programme de santé publique. Cela doit se faire davantage et je pense qu'il est devenu très clair que ces problèmes sont bien plus grands que ce que la microbiologie peut résoudre. L'autre aspect qui me tient à cœur et qui est la raison de ma présence ici, c'est qu'en tant que chercheurs, nous ne pouvons pas rester dans les universités et nous contenter d'effectuer nos travaux scientifiques. Nous vivons dans une ère de désinformation et les voix des personnes qui étudient directement ces travaux doivent être entendues. Il est de notre responsabilité de nous assurer que ces travaux sont publiés et de travailler avec les parties prenantes pour que ces problèmes soient résolus.

Je crois fermement que la recherche n'appartient pas seulement aux universités, que le public doit y participer et que, si nous voulons la faire progresser davantage, les prochaines limites seront très grandes. Tous les fruits mûrs ont été cueillis et nous faisons de la recherche depuis de nombreuses années. Nous sommes maintenant dans un nouveau type de science.

Marc Fortin : Carolina, c'est tellement important et je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai été chercheur pendant la plus grande partie de ma carrière et je travaille maintenant au sein du système fédéral parce que je crois que les chercheurs et les scientifiques ont besoin d'apporter leur message et leur optique au gouvernement et d'influencer un plus grand système. Bref, je vous suis très reconnaissant d'avoir pris ce temps aujourd'hui, malgré votre vie très chargée, et de sortir de votre laboratoire pour travailler avec nous au gouvernement. Cette séance a été extraordinairement instructive, Carolina. Je ne saurais trop vous remercier pour votre présentation, pour votre temps.

Nous tenons également à remercier le CIFAR, partenaire de l'École de la fonction publique du Canada, qui aide l'école à présenter ces événements au public. Nous voulons bien sûr vous remercier, vous, le public, d'avoir participé à l'événement en très grand nombre aujourd'hui. Vos commentaires sont toujours les bienvenus et ils sont importants pour nous. Vous serez invité par courriel à remplir une évaluation dans les prochains jours. N'hésitez pas à consulter la page Web pour connaître les autres cours, événements et programmes proposés par l'École de la fonction publique du Canada.

Le prochain événement de la série Le Canada à la fine pointe de l'innovation sera diffusé le mardi 25 janvier et il portera sur l'information quantique. Il sera animé par le Dr Nipun Vats, l'un de mes collègues qui est sous-ministre adjoint à l'ISDE, soit Innovation, Sciences et Développement économique Canada. L'événement mettra en vedette la Dre Stephanie Simmons, titulaire d'une chaire de recherche du Canada dans le département de physique de l'Université Simon Fraser. Les détails concernant l'inscription seront affichés sur le site Web. Carolina, un grand merci pour le travail que vous faites, votre passion et votre volonté de communiquer. Merci au public, merci au CIFAR et merci à l'École de la fonction publique du Canada. Bonne fin de journée!

Carolina Tropini : Je vous remercie de m'avoir invitée.

[Le clavardage vidéo s'estompe et le logo de l'EFPC apparaît.]

[Le logo du gouvernement du Canada apparaît, puis l'écran devient noir.]

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